ça faisait un petit moment que je ne vous avais pas proposé d'interview. Voici encore quelqu'un de très sympa, Serge Fiedos, graphiste de son état.
1. Serge, peux-tu te présenter stp ?
Je m'appelle Serge Fiedos, mais mes amis m'appellent affectueusement Serguey
ou Sergouil, pseudonymes que j'utilise par conséquent sur divers forums
d'illustration. J'ai 37 ans, presque toutes mes dents, je suis né de parents
tous deux polonais, langue de naissance que je comprends toujours
parfaitement mais que je suis incapable de parler (ma mère me parlait en
polonais, je répondais en français) . J'ai grandi dans les environs de
Tarbes dans les Hautes-Pyrénées et depuis tout petit je rêvais d'être
dessinateur de métier, ce à quoi je me suis attelé dés l'âge de 8 ou 9 ans
en dessinant absolument sans arrêt, et en dévorant des BD. Je suis
aujourd'hui illustrateur freelance, et j'habite dans les environs de
Poitiers, à Montmorillon exactement.
2. Pourquoi le jeu vidéo ? Ce n'était pas forcément ce à quoi tu te
destinais ?
Non c'est vrai, mais je crois que personne ne fait vraiment exactement ce à
quoi il se destinait, et c'est tant mieux, il y a des surprises dans la vie,
de nouvelles passions qui naissent, des rencontres. Au départ on a un
motivation générale et une conviction, mais après rien ne se passe comme on
le pense.
Je voulais dessiner depuis que j'étais petit, mais jusqu'à l'âge de 13 ans
j'étais absolument contre les ordinateurs, je voulais pas en entendre parler
(alors que ça fascinait ma soeur cadette par exemple). Et puis l'été 1986,
je passe un mois de vacances chez un ami d'enfance qui a un C64, et là, ça
devient a passion folle, je passe des journées à jouer à Who dares wins 2,
Commando, Cauldron 2, et là je deviens amoureux de la magie du pixel. Ces
dessins qui bougent à l'écran, trés sommaires mais chargés de suggestion
pour l'imaginaire, accompagnés de musiques ensorcellantes, c'est devenu
l'amour fou. Dés lors, j'ai eu très vite un Amstrad CPC464 à cassette, sur
lequel je dessinais avec les flèches du clavier des images d'intro pour les
jeux que j'avais qui en étaient dépourvus,puis un Atari ST et un Amiga, et à
force d'utiliser les logiciel de dessin sur ces machines, j'ai voulu devenir
graphiste dans le jeu vidéo.
3. Comment es-tu arrivé chez Lankhor ?
Alors déjà, j'étais indépendant au début, pas salarié, et je travaillais à
distance en envoyant les disquettes avec mes dessins.
Voici comment ça s'est passé exactement: en terminale j'étais devenu un vrai
cancre au lycée, et j'étais persuadé de ne pas avoir mon Bac.
Aussi qu'elle ne fut pas ma surprise de l'obtenir quand même après le
repêchage ! Du coup j'avais absolument rien préparé, je me suis pointé au
concours de beaux-Arts de Toulouse avec 5 ou 6 dessins, et je ne l'ai pas
eu. C'est en 1990. Du coup, bien embêté pour mon année à venir, je me suis
dit que j'allais passer mes vacances d'été à préparer des dessins sur
disquette à envoyer aux éditeurs de jeux, sait-on jamais ?
J'ai eu très vite une réponse enthousiasmante de Newdeal productions, vers
septembre, qui voulait carrément que je fasse un jeu d'aventure complet,
scénario, dessin, animations, et même musique (je bidouillais avec
Soundtracker sur Amiga) et le tout pour le mois de mars 1991 !
Cétait infaisable et honnêtement, j'avais pas les épaules pour un boulot
pareil, donc au bout de deux mois passé dessus, j'ai laissé tombé, plutôt
passionné par le fait de passer le permis et sortir avec les amis. Je me
suis inscrit à une petite école de beaux Arts dans ma ville de Tarbes, qui
proposait une année de préparation de dossier pour les grandes écoles. Je
visais de nouveau la BD, le dessin, et le concours des beaux-Arts BD
d'Angoulême. Alors que j'avais oublié le jeu vidéo, au mois de mars 1991,
Bruno Gourier de Lankhor m'appelle pour me proposer de faire un essai de
graphisme sur un futur jeu d'aventure, ils avaient gardé ma disquette de
côté.
L'essait fut concluant, en plus ça allait être mon premier job payé (600
francs par lieux avec les animations, le rêve !) et pour LA boite de jeux
française (ex-aequo avec Delphine Software) dans mon coeur. J'étais aux
anges.
4. Le travail dans l'industrie du jeu vidéo à l'époque, ça se passe comment
?
Ca me faisait rêver tout autant que la BD parce que c'était du travail
d'auteur à l'époque, un programmeur, un graphiste, un musicien, on
connaissait les créateurs de jeux par leurs noms (Steve Bak, Pete Lyon,
Jean-Luc et Béatrice Langlois, Paul Cuisset). Il y avait peu
d'interlocuteurs, des contraintes nombreuses mais un travail somme toute
assez facile, bien cadré: un décor, des éléments animés, des animations de
personnages sommaires. Le plus difficile était de bien faire avec les
contraintes de couleurs, et c'était du travail pixel par pixel
(l'anti-aliasing qui est automatique sur tous les logiciels d'aujourd'hui,
était fait à la main)
5. Pour ton premier travail, tu es le seul graphiste, sacré responsabilité,
non ?
C'était dur moralement car la peur de pas être à la hauteur était très
grande, en plus je bossais de chez moi, d'abord depuis Tarbes, en même temps
que mon année de prépa-beaux arts, puis depuis Orléans. J'envoyais mes
disquettes et ensuite j'attendais dans l'angoisse le coups de fil de
critiques, modifications, etc, mais aussi de compliments.
6. Black Sect était un remake de la version CPC. Comment on travaille là
dessus ? Tu avais joué à la version CPC, tu t'es imprégné de cette version,
ou alors tu as fait comme bon te semblait ?
En fait ce jeu n'était qu'une adaptation du scénario du jeu CPC, les lieux
étaient les mêmes, c'était d'ailleurs les mêmes scénaristes, par contre,
c'était le premier jeu exploitant un nouvel outil développé par Lankhor pour
faciliter la création de jeux d'aventure. Aussi la jouabilité de Black Sect
n'avait rien à voir avec celle du jeu amstrad tout en textes. Je n'avais que
des photos d'écran de la version Amstrad, et j'ai adapté à ma sauce et selon
les recommandation de Bruno Gourier, programmeur principal de ce jeu.
7. Tu as travaillé sur chaque version : Amiga, ST, PC ? Allez, tu peux me le
dire... l'Amiga était bien la meilleure bête ?
L'Amiga était la machine graphique par excellence, à l'époque les logiciels
de dessins sur ST et PC étaient très nettement en dessous. Mais je ne
l'exploitais pas car les version ST et Amiga étaient identiques, je devais
donc utiliser la palette de 16 couleurs parmi 512 au lieu des 32 sur 4096 de
l'Amiga. La version PC, entièrement redessinée elle, était la meilleure
graphiquement, car affichant une palette de 256 couleurs sur 16 millions (le
luxe, une grande joie à l'époque).
8. Le développement du soft a été assez chaotique et long. Au final, est-ce
que le résultat n'est pas un poil décevant ? J'imagine que sur le moment et
pour ton premier jeu, non, mais avec le recul ?
Ben, chaotique pour moi non, je dessinais linéairement, et puis ensuite je
suis passé à la version PC qui m'a pris plusieurs mois (presque un an) et
pour laquelle j'étais mieux payé. Mais au sein de l'équipe Lankhor c'était
un jeu source de conflit, il avait été décidé de faire Black Sect au lieu de
Sukiya (la suite tant attendue de Maupiti Island) et cela divisait l'équipe.
Je m'en suis rendu compte quand je me suis installé en région parisienne
après avoir abandonné mes études en Beaux Arts qui ne menait nulle part. Zu
final, le jeu commencé en 1991 fut achevé en 1993 et a fait un flop
terrible, impossible de faire face à des bombes comme Day of the Tentacle,
une nouvelle génération de jeux d'aventures.
En plus sa maniabilité étaient très complexe, laborieuse, alors que le
scénario était trop simple, pour débutants. Sukiya aurait marché lui, et en
plus il était graphiquement entièrement terminé. Après Black Sect Lankhor a
failli couler.
C'était effectivement très décevant de voir le peu de retombées de ce jeu,
malgré des notes assez bonnes, et moi-même je n'ai joué à Black Sect qu'une
demi-heure, j'étais également déçu de la jouabilité.
9. Tu travailles ensuite sur ce qui va devenir le jeu culte de tout pirate
qui se respecte : Shaq Fu ! Comment es-tu passé de chez Lankhor à Delphine
Software ?
Encore une fois ce n'est pas simple. Au printemps 1993, je finissais Black
Sect PC, et j'étais engagé à 1/4 temps comme graphiste dans une autre
société de Bruno Gourier pour laquelle je faisais de la mise en page et des
illustrations pour un magazine testant des jeux éducatifs. A l'époque il y
avait encore l'échéance de l'armée, qui pour moi devait être en 1994 ou 95.
Sentant que ça serait un boulet pour mes projets, j'ai décidé d'anticiper la
date des 3 jours, et par chance, aidé par un certificat médical stipulant
des problèmes nerveux, j'ai été exempté. Du coup j'étais libre d'être engagé
comme salarié dans une boite de jeux, Lankhor ne pouvait pas m'offrir ça
dans l'immédiat, j'ai donc postulé à Delphine Software avec mes disquettes
de dessins de Black Sect (qui n'était pas encore sorti). J'ai été engagé
immédiatement, et ça ça m'a procuré un plaisir et une sensation
d'accomplissement immense. J'ai commencé à la mi-juin 93.
Et donc en effet le premier jeu sur lequel j'ai bossé était Shaq Fu. Le
fameux jeu de combat mettant en scène Shaquille O'Neal.
10. Quel est ton rôle sur Shaq Fu ?
Il m'a été confié la charge de faire tous les décors du jeu. Le dessinateur
story-boarder Eric Caron s'occupait de faire les esquisses au crayon sur
papier, et moi je les transposais en couleur sur ordinateur, avec la
contrainte imposée par les consoles: la composition de l'image en bloc de
caractères.
Il fallait tenir en mémoire, donc l'image était composée d'un maximum
d'éléments qui se répètent. Pour se faire j'utilisais la fonction grille de
Deluxe Paint sur Amiga 4000, je dessinais d'abord librement et sans
contraintes l'image, et puis ensuite je m'attelais à trouver des motifs
répétitifs, je composais une nouvelle image par dessus la première, en
posant des blocs dans des multiples de 16x16 pixels.
Un outil s'occupait ensuite d'analyser l'image et de constituer la banque de
caractères qui composait l'image, avec une limitation en nombre. Il fallait
donc retravailler, optimiser, jusqu'à ce que l'image rentre dans le nombre
de caractères requis.
11. Comment se passe le travail sous les "ordres" de Thierry Levastre
(vas-y, c'est le moment de balancer !) ?
Ha, ha, 17 ans après ça serait bien difficile de trouver quelque chose à
reprocher. Ca se passait très bien, je me souviens qu'il avait un côté assez
speed qui déroutait un peu au départ, mais j'avais un délai plus que
confortable pour faire les décors. Franchement, ça a été des mois de rêve
cette année passée sur Shaq Fu, une très bonne ambiance d'équipe, parfois on
bossait très tard le soir, jusqu'à 2 ou 3 heures du mat (et on arrivait
aussi très tard le matin, et ça ça énervait beaucoup Thierry qui habitait
loin et avait des horaires plus standarts).
12. Pourquoi est ce que ce jeu est tellement décrié de nos jours d'après
toi, alors qu'en étant vraiment objectif, c'est loin d'être le plus mauvais
et je le trouve même pas mal du tout ?
J'avoue que je n'ai jamais suivi ce qu'il était advenu du jeu, si tu veux en
interne après sa sortie il a été reconnu par l'équipe dirigeante que le jeu
faisait un flop et que ça avait été une erreur commerciale d'accepter ce
projet à license de personnalité connue (produit par Electronic Arts), donc
ça a été une surprise amusante de voir des années après sur internet que ce
jeu est véritablement détesté.
A mon sens, ce qui faisait le succés de ces jeux de combats était les gros
personnages mal animés au look aggressif, identifiables jusque dans leurs
mimiques, le nombre de coups possibles, les combinaisons, les sons.
Le parti pris de Shaq Fu était de mettre en scène des personnages plus
petits, mais mieux animés, l'animation étant la marque de fabrique de
Delphine après Flashback. Sauf que, gros bémol, les contraintes de mémoires
étaient telle qu'il a fallu sabrer assez largement dans le nombre d'étapes
d'animations, et Shaq Fu avait donc des personnages petits, peu
identifiables ET pas si bien animés que ça.
Je crois que c'est ça qui a fait le manque de succés, plus l'usage de
Shaquille O'neal qui a fait que le jeu prêtait directement le flan à la
critique, car attendu au tournant. Ca avec le recul c'est vrai que ça donne
un côté nanar assez indéniable. Sans cette license basketteuse, le jeu
aurait été accueilli comme un bon jeu de combat de facture correcte, sans
prétention.
13. On arrive alors à une période charnière du jeu vidéo, le passage au tout
3D. Tu bosses sur Fade to Black. Quel était ton rôle sur ce jeu et qu'en
retires tu comme expérience ?
C'était en fait les prémisces de la 3D, car Fade to Black comme Wolfenstein,
étaient des jeux en Ray Casting, de la 2D et demi. On ne pouvait afficher
que des choses verticalement, impossible de pivoter la caméra. Voilà pour la
parenthèse technique.
Pour moi en tant que graphiste 2D et qui aimait le dessin, l'aspect
illustration et dessin animé du jeu vidéo, ça a été dur.
On m'a proposé la 3D comme une promotion suite à mon bon travail sur Shaq
Fu, et je ne pouvais pas la refuser, je me suis donc formé à 3D studio 4 qui
était une usine à gaz, il fallait distinguer les objets dans un fatras de
fil de fer entassés les uns sur les autres, l'enfer !
Tout était cérébral, il fallait complètement imaginer l'image qu'on voulait
obtenir, et après beaucoup de travail on avait le rendu calculé par le
logiciel. A savoir que j'ai travaillé sur la partie scènes cinématiques du
jeu, et non la 3D temps réel très cubique du jeu lui-même. En plus je
débutais, d'autres graphistes avaient été embauchés et maitrisaient déjà à
fond le sujet, c'était très destabilisant. Une grosse équipe de 30 personnes
a travaillé sur Fade to Black au total. Résultat, j'ai fait une douzaine de
scènes sur 60 dans le jeu, parmis les plus simples, sauf à la fin du projet
où on m'a confié une des scène finales, le combat entre le cerveau morph et
la pyramide. Un mois de boulot dont le résultat avait été apprécié.
Mais fondamentalement, j'étais assez malheureux de faire de la 3D, ça ne se
référait plus à rien de ce que j'aimais. C'était d'ailleurs assez paradoxal
comme période, à une époque où les machines devenaient capables de faire de
la 2D exceptionnelle, surpassant les machines d'arcades que nous
connaissions, on passait à une 3D complètement dépouillée, équivalente aux
premiers jeux en 2D d'un point de vue simplicité graphique.
Mais c'était une période absolument nécessaire, pour que l'on puisse avoir
les jeux en 3D que nous connaissons aujourd'hui.
14. Tu quittes ensuite Delphine pour revenir chez Lankhor. Pourquoi et
comment ?
Comme dit plus haut, je déprimais un peu je ne me sentais plus d'avenir dans
cette société, je pensais plus m'orienter vers la création en amont, le
design papier, des choses comme ça, mais je ne le pensais pas possible à
Delphine qui était une boite déjà très structurée avec des rôles dans la
création bien établis.
Je suis revenu à Lankhor car un de mes amis qui m'avait suivi de Lankhor
vers Delphine, avait lui aussi quitté Delphine pour revenir chez Lankhor, et
il m'avait dit qu'ils recrutaient des graphistes.
15. Tu y bosses sur deux jeux de F1, tout en 3D. Plutôt paradoxal, non ?
Oui, je te le fais pas dire. J'ai été attiré par Lankhor car la boite
reprenait tout à zéro après avoir presque coulée, et les jeux de F1 ne
devaient constituer qu'une courte période de quelques mois, en attendant
d'attaquer des projets plus personnels comme des jeux d'aventures. Ils
étaient très branchés recherches de nouvelles technologies du jeu, avec
notamment celui qui deviendra un de mes meilleurs amis, Jean-Luc Langlois
qui est toujours un très brillant programmeur. Capable de se torturer le
cerveau durant des semaines sur un seul problème d'optimisation, il avait
conçu pour les jeux de F1 un moteur 3D scanline qui ne nécessitait pas de
carte graphique 3D. Notre premier jeu de F1 tournait donc parfaitement sur
des PC qui dataient de 3 ou 4 ans, donc un respect vraiment très grand du
joueur.
C'était donc le retour à une petite équipe, et la possibilité à la création
de nouveaux projets. Finalement le premier jeu de F1 a été un piège, un
gouffre à temps, les retards obligeaient à changer de saison de F1, donc à
refaire toutes les voitures, supprimer des circuits, en créer de nouveaux.
Mais ça avait un côté passionnant parce qu'on participaient activement en
tant que graphistes à la création des outils, et ça j'ai toujours adoré dans
le jeu, le côté technique, les contraintes. Visuellement c'était une 3D qui
commençait à avoir de l'allure.
Humainement, ça a été une période qui a marqué tous ceux qui l'ont vécu, on
peut le demander à chacun des employés, c'est assez unanime.
Ensuite on a effectivement monté des dossiers de projets de jeux, avec des
démos en 3D, des petites vidéos, et enfin le régal, beaucoup de recherches
de design sur papier. Je montre des échantillons de ces projets sur mon site
web.
Hélas, la boite n'a pas survécu assez longtemps pour qu'on concrétise ces
projets.
16. Lankhor, c'est malheureusement fini. Delphine également. C'est tout un
pan de l'histoire (récente) du jeu vidéo qui s'écroule, non ?
Oh, je peux pas dire que je vois les choses de façon aussi nostalgique.
Quand j'étais dans le jeu, finalement je jouais peu chez moi, et une fois
que j'ai quitté ce monde, j'ai acheté une playstation 2 et je me suis mis à
beaucoup jouer ! Je peux pas dire que je regrette les jeux de l'époque,
quand on voit les merveilles qui sortent actuellement. Donc quelque part,
ont survécu ceux qui ont su s'adapter, et puis les nouvelles générations de
créateurs sont arrivés et c'est sûrement très bien ainsi.
17. Tu es revenu aujourd'hui à tes premiers amours, le dessin sur papier.
L'illustration et la bande dessinée, c'est génial, mais tu n'as pas envie de
retravailler sur le jeu vidéo de temps en temps ?
Aujourd'hui, je suis illustrateur à mon compte, la bande-dessinée c'est un
peu à part et ça reste un rêve, j'ai fait des essais, je n'ai pas encore
tellement persévéré mais je ne désespère pas, cela dit je ne veux pas en
faire pour en faire, la BD il faut avoir quelque chose à dire. En outre
j'ai la chance d'avoir régulièrement du travail dans des domaines très
variés: affiches, dépliants, animations en flash, ce qui me fait parfois
revivre les mêmes sensations que dans le jeu vidéos.
J'ai bossé de nouveau dans le jeu avec mes amis Jean-Luc Langlois et
Emmanuel Chamayou qui ont créé une boite de jeu pour téléphone portable,
Corélane (pour Core Lane en anglais, mais aussi Lane Core dans l'autre
sens). Le succés éditorial n'a pas été au rendez-vous malgré des jeux
porteurs comme Free Fall, une sorte de Marble Madness truffé de pièges.
J'ai donc fait les graphisme de Free Fall, de Vooddo Kart une course de
voiture, et de Clonik un casual game sympa à jouer.
18. Quel regard jette tu sur le jeu vidéo d'aujourd'hui par rapport à celui
d'il y a vingt ans ?
Très bon et émerveillé. Je me réjouis à l'avance de la sortie de jeux
immersifs comme Mafia 2 et les futurs GTA, il y a Red Dead Redemption qui
sort fin avril et qui promet du grandiose. En tant que joueur je suis
comblé. Mais bosser pour le jeu, pour le moment, ça ne m'intéresse plus, à
part faire des illustrations comme on en voit dans les séquences
intermédiaires de GTA. Je ne sais pas ce que l'avenir me réserve, alors qui
sait...
19. Le retrogaming, qu'en penses-tu ?
Du bien aussi, j'ai une borne d'arcade authentique raccordée à un PC et des
émulateurs, et on joue entre amis à des jeux tous simples mais addictifs
comme Puyo Puyo, il y a de très bon jeux anciens, plus dans les jeux de
réflexions que dans les jeux d'actions qui ont bien vieilli eux.
J'ai été étonné de voir la réaction d'un de mes jeunes voisins qui a à peine
la vingtaine, qui n'a jamais vu une borne d'arcade à part la mienne, qui est
un fou des derniers jeux PC, et qui a pourtant trouvé géniaux les vieux
shoot 'em up frénétiques qu'on nous servait il y a 20 ans.
La magie opère toujours ! Je crois que je rejouerais avec plaisir à Sam et
Max, Full Throttle qui étaient des jeux à ambiance que j'adorais.
20. Toi même, es-tu joueur/collectionneur ?
Joueur oui, collectionneur non. J'ai peu de temps à consacrer aux jeux,
aussi j'en achète un ou deux par an environ, et je les finis.
En 2008 ce fut GTA4, en 2009 Tomb Raider, sur PS3.
1. Serge, peux-tu te présenter stp ?
Je m'appelle Serge Fiedos, mais mes amis m'appellent affectueusement Serguey
ou Sergouil, pseudonymes que j'utilise par conséquent sur divers forums
d'illustration. J'ai 37 ans, presque toutes mes dents, je suis né de parents
tous deux polonais, langue de naissance que je comprends toujours
parfaitement mais que je suis incapable de parler (ma mère me parlait en
polonais, je répondais en français) . J'ai grandi dans les environs de
Tarbes dans les Hautes-Pyrénées et depuis tout petit je rêvais d'être
dessinateur de métier, ce à quoi je me suis attelé dés l'âge de 8 ou 9 ans
en dessinant absolument sans arrêt, et en dévorant des BD. Je suis
aujourd'hui illustrateur freelance, et j'habite dans les environs de
Poitiers, à Montmorillon exactement.
2. Pourquoi le jeu vidéo ? Ce n'était pas forcément ce à quoi tu te
destinais ?
Non c'est vrai, mais je crois que personne ne fait vraiment exactement ce à
quoi il se destinait, et c'est tant mieux, il y a des surprises dans la vie,
de nouvelles passions qui naissent, des rencontres. Au départ on a un
motivation générale et une conviction, mais après rien ne se passe comme on
le pense.
Je voulais dessiner depuis que j'étais petit, mais jusqu'à l'âge de 13 ans
j'étais absolument contre les ordinateurs, je voulais pas en entendre parler
(alors que ça fascinait ma soeur cadette par exemple). Et puis l'été 1986,
je passe un mois de vacances chez un ami d'enfance qui a un C64, et là, ça
devient a passion folle, je passe des journées à jouer à Who dares wins 2,
Commando, Cauldron 2, et là je deviens amoureux de la magie du pixel. Ces
dessins qui bougent à l'écran, trés sommaires mais chargés de suggestion
pour l'imaginaire, accompagnés de musiques ensorcellantes, c'est devenu
l'amour fou. Dés lors, j'ai eu très vite un Amstrad CPC464 à cassette, sur
lequel je dessinais avec les flèches du clavier des images d'intro pour les
jeux que j'avais qui en étaient dépourvus,puis un Atari ST et un Amiga, et à
force d'utiliser les logiciel de dessin sur ces machines, j'ai voulu devenir
graphiste dans le jeu vidéo.
3. Comment es-tu arrivé chez Lankhor ?
Alors déjà, j'étais indépendant au début, pas salarié, et je travaillais à
distance en envoyant les disquettes avec mes dessins.
Voici comment ça s'est passé exactement: en terminale j'étais devenu un vrai
cancre au lycée, et j'étais persuadé de ne pas avoir mon Bac.
Aussi qu'elle ne fut pas ma surprise de l'obtenir quand même après le
repêchage ! Du coup j'avais absolument rien préparé, je me suis pointé au
concours de beaux-Arts de Toulouse avec 5 ou 6 dessins, et je ne l'ai pas
eu. C'est en 1990. Du coup, bien embêté pour mon année à venir, je me suis
dit que j'allais passer mes vacances d'été à préparer des dessins sur
disquette à envoyer aux éditeurs de jeux, sait-on jamais ?
J'ai eu très vite une réponse enthousiasmante de Newdeal productions, vers
septembre, qui voulait carrément que je fasse un jeu d'aventure complet,
scénario, dessin, animations, et même musique (je bidouillais avec
Soundtracker sur Amiga) et le tout pour le mois de mars 1991 !
Cétait infaisable et honnêtement, j'avais pas les épaules pour un boulot
pareil, donc au bout de deux mois passé dessus, j'ai laissé tombé, plutôt
passionné par le fait de passer le permis et sortir avec les amis. Je me
suis inscrit à une petite école de beaux Arts dans ma ville de Tarbes, qui
proposait une année de préparation de dossier pour les grandes écoles. Je
visais de nouveau la BD, le dessin, et le concours des beaux-Arts BD
d'Angoulême. Alors que j'avais oublié le jeu vidéo, au mois de mars 1991,
Bruno Gourier de Lankhor m'appelle pour me proposer de faire un essai de
graphisme sur un futur jeu d'aventure, ils avaient gardé ma disquette de
côté.
L'essait fut concluant, en plus ça allait être mon premier job payé (600
francs par lieux avec les animations, le rêve !) et pour LA boite de jeux
française (ex-aequo avec Delphine Software) dans mon coeur. J'étais aux
anges.
4. Le travail dans l'industrie du jeu vidéo à l'époque, ça se passe comment
?
Ca me faisait rêver tout autant que la BD parce que c'était du travail
d'auteur à l'époque, un programmeur, un graphiste, un musicien, on
connaissait les créateurs de jeux par leurs noms (Steve Bak, Pete Lyon,
Jean-Luc et Béatrice Langlois, Paul Cuisset). Il y avait peu
d'interlocuteurs, des contraintes nombreuses mais un travail somme toute
assez facile, bien cadré: un décor, des éléments animés, des animations de
personnages sommaires. Le plus difficile était de bien faire avec les
contraintes de couleurs, et c'était du travail pixel par pixel
(l'anti-aliasing qui est automatique sur tous les logiciels d'aujourd'hui,
était fait à la main)
5. Pour ton premier travail, tu es le seul graphiste, sacré responsabilité,
non ?
C'était dur moralement car la peur de pas être à la hauteur était très
grande, en plus je bossais de chez moi, d'abord depuis Tarbes, en même temps
que mon année de prépa-beaux arts, puis depuis Orléans. J'envoyais mes
disquettes et ensuite j'attendais dans l'angoisse le coups de fil de
critiques, modifications, etc, mais aussi de compliments.
6. Black Sect était un remake de la version CPC. Comment on travaille là
dessus ? Tu avais joué à la version CPC, tu t'es imprégné de cette version,
ou alors tu as fait comme bon te semblait ?
En fait ce jeu n'était qu'une adaptation du scénario du jeu CPC, les lieux
étaient les mêmes, c'était d'ailleurs les mêmes scénaristes, par contre,
c'était le premier jeu exploitant un nouvel outil développé par Lankhor pour
faciliter la création de jeux d'aventure. Aussi la jouabilité de Black Sect
n'avait rien à voir avec celle du jeu amstrad tout en textes. Je n'avais que
des photos d'écran de la version Amstrad, et j'ai adapté à ma sauce et selon
les recommandation de Bruno Gourier, programmeur principal de ce jeu.
7. Tu as travaillé sur chaque version : Amiga, ST, PC ? Allez, tu peux me le
dire... l'Amiga était bien la meilleure bête ?
L'Amiga était la machine graphique par excellence, à l'époque les logiciels
de dessins sur ST et PC étaient très nettement en dessous. Mais je ne
l'exploitais pas car les version ST et Amiga étaient identiques, je devais
donc utiliser la palette de 16 couleurs parmi 512 au lieu des 32 sur 4096 de
l'Amiga. La version PC, entièrement redessinée elle, était la meilleure
graphiquement, car affichant une palette de 256 couleurs sur 16 millions (le
luxe, une grande joie à l'époque).
8. Le développement du soft a été assez chaotique et long. Au final, est-ce
que le résultat n'est pas un poil décevant ? J'imagine que sur le moment et
pour ton premier jeu, non, mais avec le recul ?
Ben, chaotique pour moi non, je dessinais linéairement, et puis ensuite je
suis passé à la version PC qui m'a pris plusieurs mois (presque un an) et
pour laquelle j'étais mieux payé. Mais au sein de l'équipe Lankhor c'était
un jeu source de conflit, il avait été décidé de faire Black Sect au lieu de
Sukiya (la suite tant attendue de Maupiti Island) et cela divisait l'équipe.
Je m'en suis rendu compte quand je me suis installé en région parisienne
après avoir abandonné mes études en Beaux Arts qui ne menait nulle part. Zu
final, le jeu commencé en 1991 fut achevé en 1993 et a fait un flop
terrible, impossible de faire face à des bombes comme Day of the Tentacle,
une nouvelle génération de jeux d'aventures.
En plus sa maniabilité étaient très complexe, laborieuse, alors que le
scénario était trop simple, pour débutants. Sukiya aurait marché lui, et en
plus il était graphiquement entièrement terminé. Après Black Sect Lankhor a
failli couler.
C'était effectivement très décevant de voir le peu de retombées de ce jeu,
malgré des notes assez bonnes, et moi-même je n'ai joué à Black Sect qu'une
demi-heure, j'étais également déçu de la jouabilité.
9. Tu travailles ensuite sur ce qui va devenir le jeu culte de tout pirate
qui se respecte : Shaq Fu ! Comment es-tu passé de chez Lankhor à Delphine
Software ?
Encore une fois ce n'est pas simple. Au printemps 1993, je finissais Black
Sect PC, et j'étais engagé à 1/4 temps comme graphiste dans une autre
société de Bruno Gourier pour laquelle je faisais de la mise en page et des
illustrations pour un magazine testant des jeux éducatifs. A l'époque il y
avait encore l'échéance de l'armée, qui pour moi devait être en 1994 ou 95.
Sentant que ça serait un boulet pour mes projets, j'ai décidé d'anticiper la
date des 3 jours, et par chance, aidé par un certificat médical stipulant
des problèmes nerveux, j'ai été exempté. Du coup j'étais libre d'être engagé
comme salarié dans une boite de jeux, Lankhor ne pouvait pas m'offrir ça
dans l'immédiat, j'ai donc postulé à Delphine Software avec mes disquettes
de dessins de Black Sect (qui n'était pas encore sorti). J'ai été engagé
immédiatement, et ça ça m'a procuré un plaisir et une sensation
d'accomplissement immense. J'ai commencé à la mi-juin 93.
Et donc en effet le premier jeu sur lequel j'ai bossé était Shaq Fu. Le
fameux jeu de combat mettant en scène Shaquille O'Neal.
10. Quel est ton rôle sur Shaq Fu ?
Il m'a été confié la charge de faire tous les décors du jeu. Le dessinateur
story-boarder Eric Caron s'occupait de faire les esquisses au crayon sur
papier, et moi je les transposais en couleur sur ordinateur, avec la
contrainte imposée par les consoles: la composition de l'image en bloc de
caractères.
Il fallait tenir en mémoire, donc l'image était composée d'un maximum
d'éléments qui se répètent. Pour se faire j'utilisais la fonction grille de
Deluxe Paint sur Amiga 4000, je dessinais d'abord librement et sans
contraintes l'image, et puis ensuite je m'attelais à trouver des motifs
répétitifs, je composais une nouvelle image par dessus la première, en
posant des blocs dans des multiples de 16x16 pixels.
Un outil s'occupait ensuite d'analyser l'image et de constituer la banque de
caractères qui composait l'image, avec une limitation en nombre. Il fallait
donc retravailler, optimiser, jusqu'à ce que l'image rentre dans le nombre
de caractères requis.
11. Comment se passe le travail sous les "ordres" de Thierry Levastre
(vas-y, c'est le moment de balancer !) ?
Ha, ha, 17 ans après ça serait bien difficile de trouver quelque chose à
reprocher. Ca se passait très bien, je me souviens qu'il avait un côté assez
speed qui déroutait un peu au départ, mais j'avais un délai plus que
confortable pour faire les décors. Franchement, ça a été des mois de rêve
cette année passée sur Shaq Fu, une très bonne ambiance d'équipe, parfois on
bossait très tard le soir, jusqu'à 2 ou 3 heures du mat (et on arrivait
aussi très tard le matin, et ça ça énervait beaucoup Thierry qui habitait
loin et avait des horaires plus standarts).
12. Pourquoi est ce que ce jeu est tellement décrié de nos jours d'après
toi, alors qu'en étant vraiment objectif, c'est loin d'être le plus mauvais
et je le trouve même pas mal du tout ?
J'avoue que je n'ai jamais suivi ce qu'il était advenu du jeu, si tu veux en
interne après sa sortie il a été reconnu par l'équipe dirigeante que le jeu
faisait un flop et que ça avait été une erreur commerciale d'accepter ce
projet à license de personnalité connue (produit par Electronic Arts), donc
ça a été une surprise amusante de voir des années après sur internet que ce
jeu est véritablement détesté.
A mon sens, ce qui faisait le succés de ces jeux de combats était les gros
personnages mal animés au look aggressif, identifiables jusque dans leurs
mimiques, le nombre de coups possibles, les combinaisons, les sons.
Le parti pris de Shaq Fu était de mettre en scène des personnages plus
petits, mais mieux animés, l'animation étant la marque de fabrique de
Delphine après Flashback. Sauf que, gros bémol, les contraintes de mémoires
étaient telle qu'il a fallu sabrer assez largement dans le nombre d'étapes
d'animations, et Shaq Fu avait donc des personnages petits, peu
identifiables ET pas si bien animés que ça.
Je crois que c'est ça qui a fait le manque de succés, plus l'usage de
Shaquille O'neal qui a fait que le jeu prêtait directement le flan à la
critique, car attendu au tournant. Ca avec le recul c'est vrai que ça donne
un côté nanar assez indéniable. Sans cette license basketteuse, le jeu
aurait été accueilli comme un bon jeu de combat de facture correcte, sans
prétention.
13. On arrive alors à une période charnière du jeu vidéo, le passage au tout
3D. Tu bosses sur Fade to Black. Quel était ton rôle sur ce jeu et qu'en
retires tu comme expérience ?
C'était en fait les prémisces de la 3D, car Fade to Black comme Wolfenstein,
étaient des jeux en Ray Casting, de la 2D et demi. On ne pouvait afficher
que des choses verticalement, impossible de pivoter la caméra. Voilà pour la
parenthèse technique.
Pour moi en tant que graphiste 2D et qui aimait le dessin, l'aspect
illustration et dessin animé du jeu vidéo, ça a été dur.
On m'a proposé la 3D comme une promotion suite à mon bon travail sur Shaq
Fu, et je ne pouvais pas la refuser, je me suis donc formé à 3D studio 4 qui
était une usine à gaz, il fallait distinguer les objets dans un fatras de
fil de fer entassés les uns sur les autres, l'enfer !
Tout était cérébral, il fallait complètement imaginer l'image qu'on voulait
obtenir, et après beaucoup de travail on avait le rendu calculé par le
logiciel. A savoir que j'ai travaillé sur la partie scènes cinématiques du
jeu, et non la 3D temps réel très cubique du jeu lui-même. En plus je
débutais, d'autres graphistes avaient été embauchés et maitrisaient déjà à
fond le sujet, c'était très destabilisant. Une grosse équipe de 30 personnes
a travaillé sur Fade to Black au total. Résultat, j'ai fait une douzaine de
scènes sur 60 dans le jeu, parmis les plus simples, sauf à la fin du projet
où on m'a confié une des scène finales, le combat entre le cerveau morph et
la pyramide. Un mois de boulot dont le résultat avait été apprécié.
Mais fondamentalement, j'étais assez malheureux de faire de la 3D, ça ne se
référait plus à rien de ce que j'aimais. C'était d'ailleurs assez paradoxal
comme période, à une époque où les machines devenaient capables de faire de
la 2D exceptionnelle, surpassant les machines d'arcades que nous
connaissions, on passait à une 3D complètement dépouillée, équivalente aux
premiers jeux en 2D d'un point de vue simplicité graphique.
Mais c'était une période absolument nécessaire, pour que l'on puisse avoir
les jeux en 3D que nous connaissons aujourd'hui.
14. Tu quittes ensuite Delphine pour revenir chez Lankhor. Pourquoi et
comment ?
Comme dit plus haut, je déprimais un peu je ne me sentais plus d'avenir dans
cette société, je pensais plus m'orienter vers la création en amont, le
design papier, des choses comme ça, mais je ne le pensais pas possible à
Delphine qui était une boite déjà très structurée avec des rôles dans la
création bien établis.
Je suis revenu à Lankhor car un de mes amis qui m'avait suivi de Lankhor
vers Delphine, avait lui aussi quitté Delphine pour revenir chez Lankhor, et
il m'avait dit qu'ils recrutaient des graphistes.
15. Tu y bosses sur deux jeux de F1, tout en 3D. Plutôt paradoxal, non ?
Oui, je te le fais pas dire. J'ai été attiré par Lankhor car la boite
reprenait tout à zéro après avoir presque coulée, et les jeux de F1 ne
devaient constituer qu'une courte période de quelques mois, en attendant
d'attaquer des projets plus personnels comme des jeux d'aventures. Ils
étaient très branchés recherches de nouvelles technologies du jeu, avec
notamment celui qui deviendra un de mes meilleurs amis, Jean-Luc Langlois
qui est toujours un très brillant programmeur. Capable de se torturer le
cerveau durant des semaines sur un seul problème d'optimisation, il avait
conçu pour les jeux de F1 un moteur 3D scanline qui ne nécessitait pas de
carte graphique 3D. Notre premier jeu de F1 tournait donc parfaitement sur
des PC qui dataient de 3 ou 4 ans, donc un respect vraiment très grand du
joueur.
C'était donc le retour à une petite équipe, et la possibilité à la création
de nouveaux projets. Finalement le premier jeu de F1 a été un piège, un
gouffre à temps, les retards obligeaient à changer de saison de F1, donc à
refaire toutes les voitures, supprimer des circuits, en créer de nouveaux.
Mais ça avait un côté passionnant parce qu'on participaient activement en
tant que graphistes à la création des outils, et ça j'ai toujours adoré dans
le jeu, le côté technique, les contraintes. Visuellement c'était une 3D qui
commençait à avoir de l'allure.
Humainement, ça a été une période qui a marqué tous ceux qui l'ont vécu, on
peut le demander à chacun des employés, c'est assez unanime.
Ensuite on a effectivement monté des dossiers de projets de jeux, avec des
démos en 3D, des petites vidéos, et enfin le régal, beaucoup de recherches
de design sur papier. Je montre des échantillons de ces projets sur mon site
web.
Hélas, la boite n'a pas survécu assez longtemps pour qu'on concrétise ces
projets.
16. Lankhor, c'est malheureusement fini. Delphine également. C'est tout un
pan de l'histoire (récente) du jeu vidéo qui s'écroule, non ?
Oh, je peux pas dire que je vois les choses de façon aussi nostalgique.
Quand j'étais dans le jeu, finalement je jouais peu chez moi, et une fois
que j'ai quitté ce monde, j'ai acheté une playstation 2 et je me suis mis à
beaucoup jouer ! Je peux pas dire que je regrette les jeux de l'époque,
quand on voit les merveilles qui sortent actuellement. Donc quelque part,
ont survécu ceux qui ont su s'adapter, et puis les nouvelles générations de
créateurs sont arrivés et c'est sûrement très bien ainsi.
17. Tu es revenu aujourd'hui à tes premiers amours, le dessin sur papier.
L'illustration et la bande dessinée, c'est génial, mais tu n'as pas envie de
retravailler sur le jeu vidéo de temps en temps ?
Aujourd'hui, je suis illustrateur à mon compte, la bande-dessinée c'est un
peu à part et ça reste un rêve, j'ai fait des essais, je n'ai pas encore
tellement persévéré mais je ne désespère pas, cela dit je ne veux pas en
faire pour en faire, la BD il faut avoir quelque chose à dire. En outre
j'ai la chance d'avoir régulièrement du travail dans des domaines très
variés: affiches, dépliants, animations en flash, ce qui me fait parfois
revivre les mêmes sensations que dans le jeu vidéos.
J'ai bossé de nouveau dans le jeu avec mes amis Jean-Luc Langlois et
Emmanuel Chamayou qui ont créé une boite de jeu pour téléphone portable,
Corélane (pour Core Lane en anglais, mais aussi Lane Core dans l'autre
sens). Le succés éditorial n'a pas été au rendez-vous malgré des jeux
porteurs comme Free Fall, une sorte de Marble Madness truffé de pièges.
J'ai donc fait les graphisme de Free Fall, de Vooddo Kart une course de
voiture, et de Clonik un casual game sympa à jouer.
18. Quel regard jette tu sur le jeu vidéo d'aujourd'hui par rapport à celui
d'il y a vingt ans ?
Très bon et émerveillé. Je me réjouis à l'avance de la sortie de jeux
immersifs comme Mafia 2 et les futurs GTA, il y a Red Dead Redemption qui
sort fin avril et qui promet du grandiose. En tant que joueur je suis
comblé. Mais bosser pour le jeu, pour le moment, ça ne m'intéresse plus, à
part faire des illustrations comme on en voit dans les séquences
intermédiaires de GTA. Je ne sais pas ce que l'avenir me réserve, alors qui
sait...
19. Le retrogaming, qu'en penses-tu ?
Du bien aussi, j'ai une borne d'arcade authentique raccordée à un PC et des
émulateurs, et on joue entre amis à des jeux tous simples mais addictifs
comme Puyo Puyo, il y a de très bon jeux anciens, plus dans les jeux de
réflexions que dans les jeux d'actions qui ont bien vieilli eux.
J'ai été étonné de voir la réaction d'un de mes jeunes voisins qui a à peine
la vingtaine, qui n'a jamais vu une borne d'arcade à part la mienne, qui est
un fou des derniers jeux PC, et qui a pourtant trouvé géniaux les vieux
shoot 'em up frénétiques qu'on nous servait il y a 20 ans.
La magie opère toujours ! Je crois que je rejouerais avec plaisir à Sam et
Max, Full Throttle qui étaient des jeux à ambiance que j'adorais.
20. Toi même, es-tu joueur/collectionneur ?
Joueur oui, collectionneur non. J'ai peu de temps à consacrer aux jeux,
aussi j'en achète un ou deux par an environ, et je les finis.
En 2008 ce fut GTA4, en 2009 Tomb Raider, sur PS3.